domingo, 24 de abril de 2016

 

« Cléopâtre » de Joseph Leo Mankiewicz, qui ressort mercredi dans une version plus longue que celles déjà connues, si je ne m’abuse, a longtemps joui d’une réputation ambiguë, celle de symboliser les délires de grandeur d’un Hollywood à la fin de la période des grands studios : préparations et tournage interminables, changement de réalisateur en cours de route, dépassement pharaonique des coûts, délocalisation dans les studios italiens, scandales divers (les débuts de la liaison Burton-Taylor), échec commercial à la sortie, au printemps 1963, pour finir. Pour toutes ces raisons, le film a été vu comme une impasse empruntée par l’industrie décadente du cinéma américain lorsqu’elle s’engouffrait dans une monumentalisation aveugle avec l’espoir d’y trouver un nouveau souffle, « Cléopatre » incarnait ainsi la fin chaotique d’une époque. Au moment même où se tournait le film, deux autres productions avaient, quant à elles, explicitement pris la fin d’un monde comme le centre même de leur récit. « Le Guépard » de Luchino Visconti (sorti au printemps 1963) et « Le Mépris » de Jean-Luc Godard (sortie en décembre 1963).

Dans le premier cas, il s’agissait de montrer sous la forme d’une ample fresque tirée du roman de Tomasi di Lampedusa le passage d’une période historique à une autre, le « risorgimento » vu comme une « révolution manquée », l’unité italienne construite sur le dos de la noblesse terrienne finissante au profit de l’aristocratie et de la bourgeoisie industrielle du Nord. Le second titre prend littéralement la fin du cinéma classique comme décor en situant une partie de son histoire dans les studios, désormais désaffectés, de Cinecittà. Au cours d’une discussion, le réalisateur, incarné par Fritz Lang, d’une adaptation cinématographique de « L’Odyssée » y déclarait qu’Ulysse n’était pas « un névrosé moderne » s’opposant ainsi au scénariste (Michel Piccoli) venu « réviser » et « moderniser » le script, Et Mankiewicz, de son côté, faisait de Marc Antoine (Richard Burton) un homme profondément dépressif, aspirant à une mort qu’il n’arrivait pas à trouver. Un « névrosé moderne » justement. D’un côté, le moderne se définissait aussi comme une nostalgie de la mythologie perdue, de l’autre, le classique se laissait contaminer par ce qui allait le liquider.

Jean-François Rauger

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